Olivier Behra, redonner des couleurs à l’île rouge

Il y a ceux qui pensent et ceux qui agissent. Olivier Behra est les deux à la fois et rien n’a pu l’arrêter quand il a compris que la préservation de la nature et la biodiversité pouvaient être des sources d’enrichissement pour des populations pauvres. Mais il lui a fallu d’abord identifier des objectifs et cela a commencé par les crocodiles.
Olivier Behra : J’ai grandi au Cameroun et c’est là que je suis entré en contact avec les crocodiles. J’étais un jeune homme pas vraiment diplômé, mais une sorte de naturaliste tel qu’on pouvait les imaginer. J’ai pu tout de suite travailler au Museum d’Histoire naturelle et c’est là que j’ai proposé des missions un peu folles, ce qui m’a permis d’être reconnu au niveau international, pas parce que j’étais un scientifique compétent, mais parce que j’ai su récolter en Afrique centrale, au nord du Congo, au Gabon ou en Centre Afrique, des données inédites sur les espèces de crocodiles.
Vicky Sommet : Le pays de votre enfance, le Cameroun, a-t-il fait naître en vous cet intérêt pour la nature et la forêt en particulier, un pays souvent connu pour ses grands arbres ?
OB : J’ai quitté ce pays à l’âge de 13 ans, après que j’ai passé mes journées à me promener dans la jungle profonde avec des serpents ou des crocodiles, mon terrain de jeux des jeudis après-midis. À 18 ans, je n’avais qu’une idée, retourner au pays de mon enfance. Ce que j’ai fait avec des sensations surtout autour de Douala, avec ses odeurs d’une région très humide, et, ensuite, à la recherche des crocodiles où on plonge en pleine nuit dans des marécages putrides. Le fait d’avoir grandi là-bas m’a aidé, ce qui n’aurait pas été le cas pour un étudiant tout juste sorti de son université, diplômes en main.
VS : Et puis est venue votre rencontre avec Madagascar. Comment et pourquoi avez-vous découvert cette île pour la première fois ?
OB : D’abord en 1987, j’y suis allé pour identifier les quotas de chasse de crocodiles, en travaillant avec de petits avions légers qui volent à 30 mètres de haut, ce qui m’a permis de survoler les 10 000 kilomètres des rivières de l’ouest malgache et on ne peut que tomber amoureux de ce pays diversifié entre les lacs du Sud avec les flamants roses et les canyons.
VS : Avez-vous tout de suite senti que cette nature pouvait être une source de revenu pour aider ce pays connu pour sa pauvreté endémique ?
OB : À l’époque, je travaillais aussi au Cameroun et en Guyane et j’ai pourtant réussi à diminuer en 1989 les quotas de chasse alors que les tanneurs étaient les financeurs. Et les Malgaches ont alors fait appel aux Nations Unies pour les aider. Comme j’étais un environnementaliste et non un producteur, je les ai alertés sur le rôle important que les crocodiles pouvaient jouer et, en tant que chef de projet des Nations Unies, je les ai incités à collecter les œufs comme au Zimbabwe, avec les paysans et des petits avions, on allait récolter les œufs de crocodiles et on les ramenait rapidement dans la capitale pour les mettre dans des incubateurs et éviter la mortalité qui existait dans la nature. Une source de revenus pendant une vingtaine d’années. Et c’est là que la FAO m’a demandé si j’avais d’autres idées, surtout pour Madagascar où les habitants n’ont pas conscience de la valeur de leurs forêts qu’ils brûlent en permanence.
Les habitants n’ont pas conscience de la valeur de leurs forêts qu’ils brûlent en permanence
VS : Vous avez repris votre bâton de pèlerin pour convaincre à la fois les autorités et les populations de la région des richesses de la biodiversité du terrain ?
OB : Il fallait agir contre la pauvreté rurale et c’est le moyen que j’ai proposé. J’ai réussi à inscrire une dynamique dans le temps, bien qu’il était difficile de changer les habitudes paysannes. J’ai alors créé une ONG sans attendre les projets des Nations Unies qui prennent beaucoup de temps mais plutôt des programmes pour lesquels j’ai cherché des fonds pendant une dizaine d’années. J’ai créé une réserve expérimentale en demandant la confiance des paysans (une quinzaine d’années pour y parvenir) et on a commencé en installant une distillerie pour distiller les feuilles des arbres qu’on avait planté quelques années auparavant.
VS : Travailler sur les crocodiles ou les grenouilles n’a rien à voir avec les cultures et leur utilisation.
OB : Je ne connaissais rien aux plantes mais j’ai réussi à convaincre les Américains à financer une première étude avec une vingtaine de chercheurs et biologistes pour étudier Madagascar et son potentiel. C’est le thème des plantes médicinales qui est apparu important, mais c’est un secteur où il faut beaucoup de temps pour sortir un médicament. Le plus simple était la fabrication d’huiles essentielles et c’est vers ce domaine que je me suis tourné. J’ai alors suivi une formation rapide aux Etats-Unis et après j’ai mis en œuvre une stratégie avec des professionnels pour démarrer la production d’huiles essentielles qui est un processus assez simple qui date des Égyptiens. Et on a réussi à sortir de ce que tout le monde faisait à l’époque, Ylang-Ylang ou girofle, pour exporter des plantes locales. La cosmétique a suivi en proposant aux industriels français, Yves Rocher, Chanel, Dessange, mais si j’ai sorti un produit génial pour les vergetures des femmes enceintes, j’ai sous-estimé les volumes nécessaires comme pour Chanel qui a commandé 5 tonnes de gingembre, des rhizomes, car c’est une plante très concentrée.
VS : 850 paysans ont maintenant changé de pratique, l’argent gagné a permis de financer des écoles, des cantines scolaires et des maternités. Les terres ravagées par les feux ont été ainsi restaurées en forêt dense et avec la présence d’animaux revenus s’y installer comme les lémuriens, les oiseaux ou les reptiles. Mais Madagascar est encore une île pauvre et la population est jeune en grande partie. Et pourquoi pas l’écotourisme ?
OB : Nos équipes de l’ONG vont sur place pour aider au développement de cette possibilité de nouveau revenu avec des formations, des financements de personnes qui veulent s’engager. Madagascar possède un potentiel alors que la déforestation est encore trop présente dans le monde entier et dans certaines parties de l’île aussi. On essaie de pousser à la production de noix de cajou. Si on trouve des investissements, il y a encore la possibilité d’inverser les choses !
Vicky Sommet
www.manandnature.org
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