Qui de mieux que Sébastien Boueilh pour incarner « l’homme qui fait bouger la vie » de cette première parution ? Rencontré dans les locaux de l’association qu’il a fondée à Saint-Paul-lès-Dax (Landes), voici l’interview d’un colosse bien ancré dans la vie dont le regard se plante dans le vôtre avec chaleur et franchise sitôt la porte de son bureau franchie.
Son histoire : Violé de 12 à 16 ans par un membre de sa famille, Sébastien Boueilh, ancien rugbyman landais, a fondé l’association Colosse aux pieds d’argile en 2013 à l’issue du procès qui a reconnu coupable et condamné son agresseur.
L’association : Implantée sur tout le territoire français, elle a pour mission d’accompagner à titre gratuit les victimes de violences sexuelles qui font appel à elle tant juridiquement que psychologiquement, de sensibiliser le grand public sur le sujet et de former tous ceux qui encadrent les enfants que ce soit dans le milieu sportif, scolaire ou autre. L’association travaille en collaboration avec de nombreux services de l’État, plusieurs Ministères et plus d’une quarantaine de fédérations sportives.
C’est une grande fierté de libérer la parole et de sauver d’autres victimes.
ENTRETIEN
Pourquoi être sorti de l’ombre après 18 ans de silence ?
S.B. Je voyais mon prédateur dans les fêtes de famille, c’est le mari d’une de mes cousines. Je dépose une plainte en 2009. Le procès aux assises a lieu en 2013. Mon agresseur est condamné à 10 ans de réclusion criminelle. Le soir même je fonde l’association, projet que j’ai mûri dans ma tête tout au long de la procédure.
« Dans mon parcours j’ai eu de la chance, je suis tombé sur des gens incroyables, du capitaine de gendarmerie qui a reçu ma plainte, à la psychologue exemplaire qui m’a soutenu et à mon avocat devenu mon parrain. »
Pourquoi cet engouement soudain de l’opinion publique quand votre histoire personnelle sort dans les médias ?
S.B. J’étais un cas nouveau, un peu différent, une victime atypique, un homme issu du milieu du sport, un rugbyman. Les médias s’emparent du sujet. TFI diffuse fin 2013 un reportage au journal de Claire Chazal devant 5 millions de téléspectateurs.
Ensuite tout va très vite pour vous ?
S.B. Oui, pas le temps de réfléchir ! J’ai sillonné les routes pendant deux ans pour développer l’association, tout en dessinant et construisant ma maison et en continuant le rugby. Petit à petit, avec l’aide de bénévoles, les choses avancent. En avril 2014, la première fédération s’engage.
Que dites-vous aux victimes qui viennent vous parler ?
S.B. Je les crois, je les félicite, je leur dis bravo, tu n’es plus tout seul sur la banquise ! Je donne un message d’espoir, je suis celui qui dit qu’on peut s’en sortir, je n’ai pas de colère, pas de haine. Pour intervenir auprès des victimes, il faut être en paix avec soi-même.
J’aime me donner tous les moyens d’atteindre mes objectifs.
Comment faisiez-vous pour tout mener de front ?
S.B. Ce sont les limites du bénévolat… Je développais, j’intervenais, je recevais la parole des victimes, je faisais les signalements, sans parler de tout le reste ! En 2015, je m’endors sur la route… Je décide alors d’arrêter mon métier, le rugby, et je cherche les bonnes personnes à faire rentrer dans l’association.
J’ai créé le conseil d’administration, sollicitant au premier chef les personnes qui m’ont aidé pendant la procédure : mon avocat qui devient président de l’association, ma psychologue. Pas une n’a dit non ! Même le capitaine de gendarmerie qui a reçu ma plainte.
En janvier 2016, je deviens le premier salarié. Ils sont 32 aujourd’hui, hommes et femmes confondus, jeunes. En mai 2018, j’ouvre la première antenne. En novembre 2020, l’association est reconnue d’utilité publique.
Où intervient l’association ?
S.B. Sur toute le territoire, dans les collèges, les lycées, les diocèses, dans le milieu de la culture, du sport, de l’agriculture, en lien avec 6 ministères et 40 fédérations.
De quoi vit l’association ?
S.B. De dons et de subventions. Nous sommes passés d’un budget de €3 800 à la création de l’association à €2 600 000 aujourd’hui. Dernièrement, il y a eu beaucoup de coupes budgétaires dans les fonds publics, l’association fonctionne à budget très tendu, il lui faut partir à la recherche de partenariats privés.
Combien de victimes reçoit l’association chaque année ?
S.B. Environ 1.000 victimes. Plus d’un signalement est fait tous les deux jours. Pour s’en sortir, une victime peut avoir besoin d’être reconnue publiquement comme telle.
La vice-procureur m’a dit un jour, en sortant d’une formation continue que je donnais à l’école de magistrature de Paris : « Quelque chose m’interpelle chez vous, un apaisement, pas de colère. Comment en êtes-vous arrivé là ? Je lui ai répondu, « C’est grâce à vous, puisque la justice m’a reconnu comme victime. »
« 60% de ma résilience a été gagnée au tribunal lors de ma procédure. »
Que pensez-vous de l’imprescriptibilité ?
S.B. Je n’y suis pas favorable. Le délai a été allongé, c’est bien. C’est déjà difficile d’apporter des preuves et des faits plusieurs années après.
Qu’est-ce qui a évolué depuis 2013 ?
S.B. Les médias jouent un rôle important. Si tous les milieux réagissaient comme l’a fait le sport depuis 2020 qui a pris le sujet à bras le corps, on n’en serait pas là ! Les gendarmes font du bon boulot. Il existe de fausses allégations, ils suivent un protocole pour s’assurer de la véracité des propos.
« Il faut savoir qu’on se met à poil, les victimes ne sont pas préparées, les associations sont là pour les aider. »
Sébastien a choisi au mois d’août dernier de transmettre le flambeau afin de permettre à l’association de trouver une nouvelle dynamique. Le temps est venu pour lui de se préserver. Il reste membre du conseil d’administration et continuera à soutenir les actions sur le terrain. Revenu à sa passion première, le rugby, il a repris début juin la présidence du club de Saint-Paul-Lès-Dax qu’il espère faire remonter en Fédérale 1. Joli retour aux sources pour celui qui y a fait ses armes enfant !
Toujours en mouvement, jamais à court d’idées, généreux, voilà un homme qui n’a pas hésité à parler, libérer sa parole pour libérer celle des autres, à la partager. Il croque la vie et la fait bouger tant pour lui que pour tous ceux qui croisent son chemin.

Écrit par Marie-Hélène Cossé
EN SAVOIR PLUS
Colosse aux pieds d’argile – Faire un don à l’association
Livre Le colosse aux pieds d’argile de Sébastien Boueilh et Thierry Vildary paru aux éditions Michel Lafon en 2020.
Téléfilm Le colosse aux pieds d’argile réalisé en 2022 par Stéphanie Murat sur un scénario d’Aude Marcle et diffusé pour la première fois le 4 mai 2023 sur TF1. Inspiré du livre paru en 2020.
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